07/04/2015
Qui paye ses dettes ?
« Quel est l’heureux homme de ce siècle, qui à la suite de la déroute politique et de la banqueroute, des émigrations, des confiscations, des réquisitions, des appréhensions, des épurations et des invasions qui ont renversé toutes les fortunes, a toujours pu dire : Je ne dois rien ?... Quelle nation, assise sur des monceaux d’or aujourd’hui, pourrait dire : je ne serais jamais débiteur ?...
Notre jurisprudence reconnaît vingt-six natures de dettes. » […]
Vous avez des dettes ?
« Il est évident que le monde ne se compose que de gens qui ont trop et de gens qui n’ont pas assez ; c’est à vous de tâcher de rétablir l’équilibre en ce qui vous concerne.
Ce qui est dans la poche des autres serait bien mieux dans la mienne !
Ôte-toi de là que je m’y mette !
Tel est, en peu de mots, le fond de la morale universelle. »[1]
Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Le Faiseur de Balzan. Sa version scénique est éblouissante, et la troupe qu’il dirige époustouflante. Toujours en équilibre instable dans un décor chaotique qui monte et descend comme les cours de la Bourse. Une trouvaille !
Monsieur Mercadet (Serge Maggiani) a des dettes et il s’en vante :
« Savez-vous pourquoi les drames dont les héros sont des scélérats ont tant de spectateurs ? C'est que tous les spectateurs sortent flattés en se disant : moi, je vaux encore mieux que ces coquins-là. Qu'y a-t-il de déshonorant à devoir ? Est-il un seul État en Europe qui n'ait pas sa dette ? »[2]
La pièce se joue à guichets fermés ? Réclamez une reprise, une prolongation… Lisez-la ! Et étudiez-la !
Le Faiseur de Balzac
Théâtre de la ville/ Théâtre des Abbesses
jusqu'au 11 avril.
19:39 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtrte, littérature, théâtre de la ville, balzac, demarcy-mota, maggiani. | Facebook | | Imprimer
09/12/2014
Les vieilles dames indignes
Vous n’avez jamais vu ça ! Ils sont plus de cinquante sur le plateau. Une trentaine issus du Saitama Gold Theater, les anciens qui ont entre 61 et 88 ans, et vingt-six jeunes du Saitama Next Theater. Et les plus ramollis ne sont pas les vieillards. Pardon, les vieillardes…
Elles sont terribles ! La Vieille Bombe, la Vieille Chauve, et toutes les grands-mères qu’on représente toujours gentilles, indulgentes, protectrices, sont ici des furies, mues par la haine et le désir de vengeance.
Alors ils vont déguster. Ils ? Les hommes d’abord, maîtres incontestés de leur destin depuis des siècles, voire des millénaires, engeance hypocrite et injuste, coupables de tous les maux de la société : « saleté de code civil ! » Ensuite, ce sera le tour des enfants et les petits-enfants n’y survivront pas.
Tout commence avec l’arrestation de deux étudiants et leur présentation au tribunal N°8. L’une des Grands-mères est convoquée. Le Procureur est partial, le juge brutal, l’avocat commis d’office incapable de trouver le bon dossier. La grand-mère ratiocine. Le juge l’expulse. Grave erreur ! Car une armée de vieilles envahit le tribunal et s’y installe. « Elles sont folles ! » clament les fonctionnaires. Elles prennent le pouvoir, bousculent les procédures, humilient les magistrats, et provoquent un séisme, alimentent une émeute. Tout finira très mal. Pour tous. Les vieilles dames indignes seront massacrées avec leurs otages. N'était-ce pas ce qu'elles souhaitaient ?
On pensait qu’Aristophane avec L’Assemblée des femmes avait égratigné la société athénienne. Kunio Shimizu et son metteur en scène Yukio Ninagawa, la passent au vitriol. Ceux sur qui repose le salut de la société ne gagnent pas et l’impérialisme japonais peut battre sa coulpe. « Peine de mort » pour ceux qui avaient l’habitude de prononcer des sentences capitales, pas de faiblesse pour la famille, à bas le népotisme !
Explosions, fumigènes, bruit de fusillades, vrombissement d’hélicoptères, le spectacle suggère la violence d’une société mortifère. « Il ne nous reste qu’à rajeunir »… ou ressusciter d’entre les morts. Mais les ténèbres sont profondes et les corbeaux des charognards.
On ne sort pas indemne de ce spectacle. Et mes petits-enfants feraient bien de se méfier de leur grand-mère !
Photos © Maiko Miyagawa
Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! de Kunio Shimizu
mise en scène de Yukio Ninagawa.
japonais surtitré en français
spectacle créé à Tokyo en 1971, reprise.
Jusqu’au 12 décembre au Théâtre de la ville
www.theatredelaville-paris.com
01 42 74 72 77
16:39 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre japonais, théâtre de la ville | Facebook | | Imprimer
18/11/2013
Corneille, à table !
Brigitte Jaques-Wajeman, qui poursuit « le cycle colonial » des pièces de Pierre Corneille, avec Pompée (1642) et Sophonisbe (1663), revient ainsi à ses premières amours puisque elle avait déjà mis en scène La Mort de Pompée en 1985, puis en 1992, et Sophonisbe en 1988.
Le jeune Corneille montrait une tendresse amusée pour les personnages féminins de La Place Royale, de l’admiration pour l’Infante du Cid, la Camille d’Horace, la Livie de Cinna. Dans Pompée et Sophonisbe, Cléopâtre (Marion Lambert), et Sophonisbe (Aurore Paris), prêtes à sacrifier leurs amants pour un trône semblent être de sacrées garces. Les Romains ne songent qu’à dominer et répriment toute velléité d’indépendance. « Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant » disait Tacite de ces conquérants. Chez Corneille, ils ravagent les cœurs et les consciences au nom de la raison d’état et de l’ordre romain. Plus de personnage exemplaire, rien que de l’orgueil, pas de vrai dilemme cornélien. Les profs de français vont être déçus.
Avec Pompée nous sommes en Égypte où vacille le pouvoir du jeune Ptolémée (Thibault Perrenoud) et de sa sœur Cléopâtre face à la puissance de Rome, l’ambition de César (Pascal Bekkar) et de Marc-Antoine (Anthony Audoux). Les égyptiens, Achilas (Yacine Aït Benhassi) et Photin (Marc Arnaud) se laissent manipuler par « l’infâme Septime » (Pierre-Stefan Montagnier). Cléopâtre, « reine adorable », se jette dans les bras de César, lequel sacrifie Ptolémée pour venger l’assassinat de Pompée, et libère Cornélie (Sophie Daull) sa veuve.
Dans Sophonisbe, les Romains sont aux portes de Carthage. Sophonisbe (Aurore Paris) la fille d’Asdrubal, avait d’abord été fiancée à Massinisse (Bertrand Suarez-Pazos), mais son père lui a fait épouser le vieux Syphax (Pierre-Stefan Montagnier) qui est fou d’elle. Or, elle apprend que Syphax s’apprête à signer la paix avec Rome et que son ex devrait épouser éryxe (Malvina Morisseau), reine de Gétulie. Sophonisbe, jalouse, pousse Carthage à la guerre. Syphax est vaincu et prisonnier. Elle épouse Massinisse, mais les Romains en ont décidé autrement. Lélius (Marc Arnaud), lieutenant de Scipion, libère Syphax. Sophonisbe se suicide et le Romain de dire « une telle fierté devait naître romaine ».
Les mêmes comédiens jouent un soir Pompée, le lendemain Sophonisbe, et dans cette alternance, ils passent, avec un égal talent, du personnage de la Reine à celui de suivante, de général à celui de centurion, et du rôle de dominant à celui de dominé. Les maquillages et coiffures de Véronique Deransart favorisent les transformations des comédiens, et les costumes atemporels de Laurianne Scimemi sont sobres et élégants.
Une longue table sert de diagonale à l’espace scénique. Pour Pompée, table et chaises d’argent, satinée de vert. Pour Sophonisbe, même décor, mais table, et chaises adoptent l’or et la pourpre (scénographie et lumière de Yves Collet). Au cours des actes, on dresse la table, avec des nappes de dentelle et fils d’or (ou d’argent), ou des satins brochés. On y pose des collations de fruits de pâtisseries, des plateaux pour boire du thé ou des alcools.
Corneille est servi, à table !
photos : © Cosimo Mirco Maglioccia
Pompée et Sophonisbe de Pierre Corneille
Du 13 novembre au 1er décembre
Théâtre des Abbesses
www.theatredelaville-paris.com
01 42 74 22 77
10:50 Écrit par Dadumas dans Blog, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la ville, corneille, brigitte jacques | Facebook | | Imprimer